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Cher.e.s collègues,

Pour information, un dossier pluraliste et pluri-disciplinaire sur des questions controversées, qui pourront intéresser les chercheurs en design :


Les Possibles — Numéro 32 - Été 2022

(revue en ligne initiée par le Conseil scientifique d'ATTAC)


Dossier : Au croisement des différents rapports d’exploitation et de domination

https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-32-ete-2022/

 
Ouvriers, mes frères, vous pour lesquels je travaille avec amour, parce que vous représentez la partie la plus vivace, la plus nombreuse et la plus utile de l’humanité, et qu’à ce point de vue je trouve ma propre satisfaction à servir votre cause, je vous prie instamment de vouloir bien lire avec attention, ce chapitre, car il faut bien vous le persuader, il y va pour vous de vos intérêts matériels à bien comprendre pourquoi je mentionne les femmes en les désignant par : ouvrières ou toutes.

La fin du mode de production capitaliste et, de ce fait, de la société dont il est la base, correspond, pensons-nous, à une échéance calculable en années plutôt qu’en siècles. Et cette fin signifie la refonte de la société en des formes plus simples, voire en éléments, dont la restructuration créera un nouvel et meilleur ordre des choses. La société est en faillite morale et c’est dans les relations entre les hommes et les femmes que se manifeste cette faillite avec la clarté la plus repoussante. Les efforts pour différer cet effondrement en tirant des plans sur la comète sont inutiles. Il faut voir les faits en face.

Dans un contexte où l’esprit de recherche désintéressée de l’université française est sérieusement mis à mal par des recherches de rentabilité, déconstruction, intersectionnalité, universalisme, tous ces termes sont l’objet de fantasmes et de polémiques qu’il va falloir balayer si on veut discuter sérieusement. Un exemple récent de confusions multiples a été donné par le colloque organisé par M. Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, sur « le wokisme et la déconstruction », colloque mené avec des mots qui sont d’une stupidité et d’une perversité innommables.

Depuis quelques années, un nouveau clivage s’est formé au sein du mouvement féministe, entre deux courants maintenant dénommés « féminisme universaliste » et « féminisme intersectionnel ». De nombreux médias ont organisé des débats confrontant des représentantes « ad hoc » de chacun de ces courants, mais ils ont plus souvent contribué à figer le clivage qu’à vraiment clarifier les divergences. Cette division affaiblit de manière considérable la capacité des féministes de lutter contre les régressions sociales, économiques et sociétales en cours, lutte qui fait pourtant partie de nos urgences. À l’heure où l’extrême droite vient de rassembler en France près de 42 % des suffrages exprimés au second tour de la présidentielle, à l’heure où nous devons conjuguer nos efforts pour exprimer notre solidarité avec les femmes et la résistance ukrainienne face à l’offensive de Poutine, il nous semble en effet indispensable de favoriser la convergence des différentes composantes féministes.

La galaxie de l’intersectionnalité enrichit la pensée critique et les mouvements sociaux émancipateurs, contrairement aux caricatures qui la visent aujourd’hui dans les espaces médiatique, intellectuel et politicien ou aux analyses simplificatrices du livre de Stéphane Beaud et Gérard Noiriel, Race et sciences sociales (2021). Cependant certains de ses usages rencontrent aussi des limites, dont deux seront privilégiées ici : des ambiguïtés épistémologiques et des adhérences identitaristes.

Porter un regard lucide sur notre histoire coloniale, et sur les discriminations fondées sur la race, n’est pas incompatible avec la défense de l’universalisme. À condition que celui-ci reste un humanisme ouvert à la diversité, et non un simple étendard mobilisé pour défendre l’« identité nationale », construite, historiquement, sur l’exclusion des non-Blancs. Il ne s’agit pas pour autant de célébrer « l’authenticité identitaire » mais d’encourager, au contraire, la liberté de tout un chacun à choisir d’autres appartenances que celles qui lui ont été données.

En ces temps où de nombreux dirigeant·e·s de la France insoumise et du Parti communiste, entre autres, saluent en des termes hyperboliques une nouvelle union politique qu’ils disent historique, et entretiennent sans fin la mythologie relative au Front populaire, il est nécessaire de rappeler quelques faits. Certes des augmentations significatives des salaires – 12 % -, la réduction du temps de travail hebdomadaire à 40 heures et deux semaines de congés payés sont à inscrire au bilan du gouvernement de l’époque et de la majorité qui le soutenait. N’oublions pas, cependant, que ces principaux conquis sociaux furent d’abord et avant tout imposés de haute lutte par celles et ceux qui s’étaient mobilisés de la mi-mai au mois de juin 1936, au cours de la première grève générale du XXe siècle marquée par une multitude d’occupations d’usines.

En tant que socio-historien, je n’ai jamais été convaincu par celles et ceux qui veulent nous faire croire que leur théorie serait la clé qui ouvrirait toutes les serrures de la connaissance. Quand j’étais étudiant, je me souviens que les marxistes althussériens, comme Étienne Balibar, s’efforçaient de nous persuader que « la dictature du prolétariat » était le concept dont le mouvement ouvrier avait absolument besoin pour faire la révolution. Je regrette que ce genre de théorie ait été jeté aux oubliettes sans donner lieu à une véritable analyse auto-critique, car cela aurait permis aux générations suivantes de ne pas reproduire les mêmes erreurs.

1. Une femme blanche crie. L’objectif photographique l’a choisie parmi une foule de femmes qui crient. Celle-ci ouvre grand la bouche, fronce le front, les yeux, le nez, montre les dents. C’est littéralement une bouche qui mord dans un visage qui rugit de haine et de colère. Une coiffure blonde bien arrangée avec des boucles indéfrisables, un petit chemisier en vichy, manches courtes. Elle tient contre elle trois livres que l’on peut reconnaître comme appartenant à une bibliothèque. Ils sont de taille et d’aspect différents, plus ou moins vieux. Lorsque je vois cette photographie alors que je me promène en septembre 2018, dans une exposition intitulée « picturing protest  » au musée d’art de l’université de Princeton, je ne réussis pas à lire les titres des livres. Autour d’elle, les autres femmes sont blondes aussi. Toutes ont le cou tendu par l’effort du cri. La photo est de Flip Shulke et a été vendue à Life magazine. Le 9 septembre 1963, la première étudiante noire débutait ses études à l’université publique de l’Alabama et déclenchait la colère des étudiantes blanches qui se déchaîna en une protestation haineuse le 10 septembre. Une image non pour se souvenir des manifestations en faveur des droits civiques, mais pour se souvenir de la haine à laquelle il fallut alors faire face. Est-ce de l’histoire ?



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Philippe CORCUFF
* Auteur de :
- Avec Alain Policar et Nonna Mayer (éds.), Les mots qui fâchent. Contre le maccarthysme intellectuel, La Tour d'Aigues, éditions de l'Aube, 2022, 192 p.,, https://twitter.com/EditionsdelAube/status/1512103756518899713?ref_src=twsrc%5Egoogle%7Ctwcamp%5Eserp%7Ctwgr%5Etweet
- “Television Series as Critical Theories: From Current Identarianism to Levinas. American Crime, The Sinner, Sharp Objects, Unorthodox”, Open Philosophy, vol. 5, no. 1, 2022, pp. 105-117, https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/opphil-2020-0160/pdf
- Contributions to Domination and Emancipation. Remaking Critique, Daniel Benson (ed.), Lanham (MD), Rowman & Littlefield International, Series "Reinventing Critical Theory", 294 p., 2021, https://rowman.com/ISBN/9781786607010/Domination-and-Emancipation-Remaking-Critique
- La grande confusion. Comment l'extrême droite gagne la bataille des idées, Paris, éditions Textuel, 672 p., 2021, https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion
* Maître de conférences HDR de science politique à l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon [log in to unmask]
* Membre du CERLIS (Université Paris Cité/Université Sorbonne Nouvelle/CNRS, UMR 8070) http://www.cerlis.eu/team-view/corcuff-philippe/
* Coanimateur depuis juin 2013 du séminaire de recherche militante et libertaire ETAPE (Explorations Théoriques Anarchistes Pragmatistes pour l'Emancipation, http://www.grand-angle-libertaire.net/etape-explorations-theoriques-anarchistes-pragmatistes-pour-lemancipation/)
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